Cass. soc., 3 avril 2019, n° 17-28829

En l’espèce, une éducatrice spécialisée est recrutée en 1982 au sein d’un établissement de l’association Handas, accueillant une dizaine d’adultes présentant un handicap lourd et, pour certains, étant dépourvus de langage. Le 28 juin 2012, la salariée, alors éducatrice chef, est licenciée pour faute grave, notamment pour :

  • maltraitance envers certains résidents : des propos insultants, un langage « cru et humiliant » envers les résidents, des punitions et un « coup de pied aux fesses » administré à une personne âgée n’ayant pas l’usage de la parole lui sont notamment reprochés ;
  • et manquement à son obligation légale (rappelée, par ailleurs, dans le règlement intérieur de l’association) d’informer les autorités judiciaires ou administratives d’une agression sexuelle commis en 2007 sur une résidente vulnérable et connus de la salariée depuis avril 2012.

Alors que la salariée a fait l’objet de plaintes pour violences déposées par les représentants légaux de certains résidents et que plusieurs témoignages concordants de salariés confirment les faits reprochés à l’éducatrice chef, la cour d’appel requalifie, malgré tout, la faute grave en cause réelle et sérieuse. Elle retient que la non-dénonciation de l’agression sexuelle était ancienne et que l’état de solitude de la salariée, ainsi que ses états de service, minimisaient la gravité des faits reprochés.

La Cour de cassation censure la position de la cour d’appel et estime au contraire que : « la salariée a manqué à son obligation légale d’informer les autorités judiciaires ou administratives de toute atteinte sexuelle infligée à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique, cette obligation étant rappelée dans le règlement intérieur du personnel de l’association des paralysés de France et que les témoins avaient relaté un coup de pied donné à une patiente ainsi qu’un langage parfois cru et humiliant envers les résidents ». Elle estime donc que le licenciement pour faute grave est justifié.

Cette décision doit être rapprochée d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 18 mars 2009[1], dans lequel elle retenait que « le fait d’infliger à l’un d’eux, sans justification, un traitement spécifique, humiliant et dégradant, constitutif d’une faute grave justifiant, en dépit de son ancienneté, la rupture immédiate des relations contractuelles ».

Dans cette affaire, un moniteur d’atelier encadrant un groupe de travailleurs handicapés avait envoyé l’un d’entre eux casser des pierres, seul et au cours de l’hiver, et pendant deux heures, sans raison apparente.

Pour les magistrats, l’état de vulnérabilité du travailleur handicapé justifiait à lui seul la qualification de faute grave. Il n’était pas nécessaire de tenir compte d’autres éléments comme l’ancienneté, les états de service du salarié, sa fonction, la mission de l’association et les situations concrètes à l’origine de l’acte de maltraitance.

A noter. Il est toutefois possible que le licenciement pour faute grave soit écarté et que les juges ne retiennent que le licenciement pour cause réelle et sérieuse. Dans deux décisions de la Cour de cassation et du Conseil d’État[2], des salariés avaient été licenciés pour avoir administré des gifles à des usagers. Il ressortait de ces affaires que le degré de gravité de la faute pouvait être atténué eu égard à l’ancienneté du salarié concerné, à ses états de service et aux circonstances de l’affaire.

Cependant, pour que la cause réelle et sérieuse soit retenue, c’est que l’acte de maltraitance ne doit pas être d’une particulière gravité ou humiliant et dégradant, ce qui n’était pas le cas dans notre affaire. Les décisions des juges de la Cour de cassation sont donc cohérentes.


[1] Cass. soc., 18 mars 2009, n° 07-44691.

[2] Cass. soc, 18 mars 2009, n°08-40384 ; CE, 2 septembre 2009, n°310932