Par un arrêt du 12 février 2020, le Conseil d’État a partiellement annulé le décret du 31 août 2018, relatif au financement des mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM). Ce décret modifiait le barème de participation du majeur protégé à sa mesure de protection en fixant notamment à un taux de 0,6 % la participation pour la « tranche des revenus annuels égale ou inférieure au montant annuel de l’AAH ». En prononçant l’annulation de ce taux, le Conseil d’Etat consacre l’exclusion de l’AAH dans le calcul de la participation de la personne protégée à sa mesure.

Tirant les conséquences de cette décision, un nouveau décret est paru au Journal Officiel du 26 décembre 2020. Un décret qui vient régler certaines problématiques mises en lumière par la décision du Conseil d’État, mais dont la mise en pratique pourrait s’avérer complexe. Nexem vous partage l’analyse de ce texte par son partenaire Le Sens de la Mesure, cabinet de conseil spécialisé dans le champ de la protection juridique des majeurs.

Le décret en résumé

Fixation d’un nouveau barème de participation

L'article R. 471-5-3 du code de l’action sociale et des familles (CASF) fixant le barème des ressources permettant le calcul de la participation de la personne au financement du coût de sa mesure est modifié :

  • le taux de 0,6 % pour la tranche des revenus annuels égale ou inférieure au montant annuel de l’AAH est supprimé ;
  • le taux de 8,5 % pour la tranche des revenus annuels supérieure au montant annuel de l’AAH et inférieur ou égale au montant brut annuel du Smic passe à 10 % ;
  • le taux de 20 % pour la tranche des revenus annuels supérieure au montant brut annuel du Smic et inférieure ou égale au même montant majoré de 150 % passe à 23 % ;
  • le taux de 3 % pour la tranche des revenus annuels supérieure au montant brut annuel du Smic majoré de 150 % et inférieure ou égale à six fois le montant brut annuel du Smic reste inchangé.

Octroi d’un délai supplémentaire pour la transmission des propositions budgétaires et leurs annexes

Par dérogation aux dispositions du CASF[1] pour l'exercice budgétaire 2021, les services[2] transmettent les propositions budgétaires et leurs annexes au plus tard le 15 janvier 2021.

Fixation des modalités de remboursement des indus de participation des personnes au financement de leur mesure au titre des années 2018 et 2019

La procédure de remboursement est fixée comme suit :

Les MJPM transmettent au représentant de l’Etat dans le département la liste des personnes sous mesure de protection concernées[3] par la procédure de remboursement. Lorsque les mesures sont exercées par un préposé en établissement cette liste est transmise à la direction financière de son établissement.

A la réception de ces listes, et au plus tard dans un délai de trois mois, le représentant de l’Etat, après vérification et validation de celles-ci, procède au versement des crédits sur le compte du mandataire qui effectue ensuite le remboursement sur le compte du majeur protégé. Dans un délai de trois mois, le MJPM apporte la preuve du remboursement réalisé auprès du majeur protégé par la transmission d’une copie du relevé de compte au représentant de l’État.

Lorsque les mesures sont exercées par un préposé en établissement, la direction financière de l’établissement procède au remboursement sur le compte de la personne protégée dans un délai de trois mois et en informe le préposé.

Dans tous les cas, la liste des personnes concernées doit être transmise avec, pour chaque exercice, l’ensemble des informations suivantes :

  • nom et prénom de la personne protégée ;
  • montant des ressources de la personne protégée ;
  • nombre de mois concernés par le remboursement ;
  • montant du remboursement.

L’analyse du Sens de la Mesure

Concernant le nouveau barème

Sans vraiment de surprise, la première tranche est supprimée et les taux des tranches suivantes sont augmentés pour « compenser » (sic) la perte de participation de la tranche supprimée.

La suppression de la mention « en vigueur au 1er janvier de l'année précédente » concernant l’AAH va reposer – temporairement si la DGCS y répond rapidement - la question « Quelle est l’AAH de référence ? » : celle au 1er janvier de l’année N-1 ou celle au 1er janvier de l’année N ?

D'autre part, mais cela n'avait pas été demandé dans le recours devant le Conseil d'Etat, et sur le même raisonnement que celui tenu par ce dernier le 12 février, le 1° de ce nouvel article peut à nouveau faire l’objet d’une annulation car on se situe dans l'hypothèse où les « ressources sont supérieures à l'AAH mais inférieures ou égales au smic ». On peut donc tout à fait avoir l'AAH + 1 euro, le problème pourra donc se poser à nouveau si un requérant saisit le Conseil…

Concernant le remboursement

Seules « les personnes prises en charge à la date de demande du remboursement » (donc théoriquement à partir du 27 décembre 2020, date d’entrée en vigueur du texte), qui participaient au financement de leur mesure de protection sous l’ancien barème, sont concernées par les remboursements. De fait, les personnes qui sont sorties du dispositif de protection, ou qui sont décédées[4], avant le 27 décembre, sont exclues du dispositif de remboursement bien qu’elles pourraient avoir été facturées des frais concernés durant la période d’application de l’ancien barème. On peut donc relever ici une conception très variable du caractère rétroactif de la décision du Conseil d’Etat.

Par ailleurs, ces opérations de remboursement pourraient également induire de reprendre toutes les déclarations fiscales desdites personnes étant désormais erronées au niveau des frais de mesures déductibles, pour les années concernées… et l’on peut y ajouter que les références fiscales N-1 ont également, en partie, des incidences sur le montant de la participation des personnes en N, des incidences sur la perception de certaines aides sociales, etc.

Enfin, la transmission « d'une copie du relevé de compte du majeur protégé » à la DDCS ou à la DRJSCS – et à leurs successeurs à compter de 2021 – n’a, sauf erreur de notre part, pas de fondement légal sachant qu’il s’agit d’une pièce individuelle relevant du dossier d’une personne physique privée et non de l’activité générale des MJPM, qu'il s'agisse d'individuels ou de SMPJM.

En conclusion, si le décret du 23 décembre règle bien certaines problématiques mises en lumière par la décision du Conseil d'Etat, il ouvre parallèlement la porte à de nombreuses complexités administratives et juridiques. A suivre.

A propos du cabinet Le Sens de la Mesure

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[1] Article R. 314-3 I.

[2] Au sens des articles L 312-1 I-15° du CASF et L 361-1 I du CASF.

[3] Les personnes concernées doivent être entendues comme celles « prises en charge par le mandataire judiciaire à la date de demande de remboursement ».

[4] L'éventuelle question du recours des héritiers, peu importe le possible faible montant des remboursements, n’est donc pas abordée.