Ergothérapeute de formation, Jérôme a souhaité mettre son expertise au service d’un outil innovant, pensé pour faciliter le quotidien des professionnels, améliorer la prise en charge des personnes accompagnées et valoriser les ressources humaines ainsi que la gestion des stocks. Ergo-Up s’adresse à la fois aux professionnels de santé, en établissement ou à domicile, et aux aidants familiaux.
 

Pouvez-vous présenter votre parcours : comment êtes-vous devenu ergothérapeute, et qu’est-ce qui vous a poussé à créer Ergo-Up ?

Je suis ergothérapeute depuis 1998. J’ai d’abord travaillé en centre de rééducation, où je faisais partie des instances chargées de la prévention des risques professionnels. Très vite, nous avons constaté une difficulté : malgré l’abondance de matériel disponible, certains soignants continuaient à se blesser lors de manipulations. En tant qu’ergothérapeute, je ne pouvais pas être présent en permanence pour les conseiller. J’ai donc conçu un arbre décisionnel simple, rapide et intuitif. L’idée était d’éviter les évaluations trop complexes, que seuls quelques spécialistes utilisent, et de proposer à tout professionnel un outil pratique pour choisir rapidement le bon matériel.

J'ai donc créé un arbre décisionnel, basé sur quelques questions ciblées. Il permettait déjà d’orienter les soignants vers la bonne solution. À partir de là, j’ai eu envie d’aller plus loin et de proposer la même démarche en dehors de ma structure, pour que davantage de structures puissent en bénéficier. Alors je me suis lancé en libéral pour être personne ressource et aider d’autres professionnels dans d’autres établissements (type MAS, EHPAH…) ou pour accompagner des aidants lors des retour à domicile.

Au fil des interventions, j’ai observé deux choses : beaucoup de professionnels manquaient de conseils pour manipuler les personnes ou utiliser correctement le matériel ; par ailleurs, les responsables d’établissements connaissaient mal le rôle de l’ergothérapeute et peinaient à justifier les besoins en matériel. Ces constats m’ont convaincu de formaliser mon arbre décisionnel dans un outil accessible à tous.

Dans un premier temps, j’ai testé une version papier auprès de nombreux stagiaires, via des formations. Les professionnels voulaient absolument repartir avec l’outil pour continuer à l’utiliser, ce qui m’a confirmé qu’il y avait une vraie demande.

En 2022, j’ai obtenu le troisième prix d’un concours départemental de création de start-up. Ce soutien m’a permis de poser les bases d’un projet entrepreneurial solide et de développer une première version numérique. Fin 2023, j’ai lancé la première version utilisable en ligne, testée dans plusieurs établissements. En juin 2024, j’ai été sélectionné par l’Accélérateur 21, ce qui m’a permis d’être accompagné tout au long de l’année 2025 pour consolider et enrichir ma solution.
 

Comment fonctionne l’application Ergo-Up dans la pratique ?

L’application repose sur la simplicité des tests et sur la centralisation de ces derniers. À partir de quelques critères, un score entre 0 et 10 est attribué à un instant T et peut-être réévalué à tout moment, ce qui permet de suivre l’évolution dans le temps. Ce score met en évidence le niveau de capacité motrice (critère important dans la prévention des TMS) de la personne accompagnée. En fonction des résultats, une liste de matériels adaptés est proposée. Si la situation change, les recommandations évoluent également. 

Par exemple, deux personnes peuvent obtenir un score indiquant la nécessité d’utiliser un lève-personne ; l’outil en précise toutefois les subtilités : ce qui varie, ce sont les sangles, la forme ou le type de support. Les propositions restent génériques pour couvrir un large éventail de besoins, tout en tenant compte de l’environnement (espace disponible, mobilier présent, contraintes architecturales…). Ce n’est pas un diagnostic médical, mais un outil d’aide à la décision pour les professionnels afin de n’«  oublier » aucun paramètre. Ergo-Up leur permet d’anticiper au mieux les besoins.

Je parle surtout de la version destinée aux professionnels des établissements du secteur sanitaire et médico-social, mais il existe aussi une version gratuite dédiée aux particuliers, pensée pour les aidants à domicile. L’utilisateur peut tester différents scénarios, découvrir le matériel existant et vérifier s’il correspond à ses besoins réels. 
 

Quelle est la mission centrale d’Ergo-Up ? Comment l’outil aide-t-il les professionnels et les gestionnaires dans leur quotidien ? Comment améliore-t-il la prise en charge des personnes accompagnées ?

L’outil vise à sécuriser les pratiques, à harmoniser l’usage du matériel et à améliorer à la fois la qualité de vie des bénéficiaires et les conditions de travail des équipes. Dans le cadre de l’utilisation de l’outil dans une structure, il présente des bénéfices à la fois pour les professionnels, les gestionnaires et les personnes accompagnées.

Pour la personne accompagnée : Ergo-Up contribue à limiter l’entrée dans la dépendance grâce à une hiérarchisation des matériels. La prévention des risques conduit parfois à installer rapidement des rails ; le risque est alors de rendre les personnes dépendantes trop tôt, sans chercher à les verticaliser. L’outil freine l’entrée dans la grande dépendance et favorise la préservation de l’autonomie.

Pour les professionnels : l’outil permet de limiter les risques professionnels. Par exemple, avec un score de 5, la personne est dite semi-autonome, situation la plus à risque pour les soignants, susceptibles de s’épuiser face à quelqu’un qui semble partiellement gérer. Or mobiliser quelqu’un qui sait s’asseoir seul n’est pas la même chose que mobiliser quelqu’un qui peut tenir debout. L’outil intègre aussi le gabarit de la personne et son niveau de compréhension. Il favorise une meilleure connaissance des matériels et l’harmonisation des pratiques. Suite aux expériences menées (notamment en SSIAD), il a renforcé la légitimité des soignants à domicile pour justifier des changements de pratiques et a contribué à apaiser les tensions au sein des équipes et entre services. Les principaux bénéfices : préserver l’autonomie, limiter les TMS, améliorer les pratiques, faciliter la coordination et valoriser/optimiser les ressources humaines et matérielles.

Pour les gestionnaires :  un tableau de bord recense les besoins logistiques et humains. Les réévaluations mensuelles quantifient les besoins au plus juste. Cela permet d’anticiper les besoins annuels, d’arbitrer entre achat et location, d’éviter les oublis, et même d’éclairer des choix d’aménagement (chambres, flux, fonctionnement).
 

Vous avez été accompagné par l’Accélérateur 21 via le programme « Emploi, Santé et Handicap », avec des expérimentations dans des établissements de la Croix-Rouge française et adhérents Nexem. Quels enseignements en tirez-vous ?

L’Accélérateur 21 a été une étape clé, car il m’a permis de légitimer l’outil auprès des professionnels du secteur. L’accompagnement m’a aidé à gagner en visibilité, à créer un réseau et à trouver des financements pour faire évoluer l’application. J’ai d’ailleurs conservé des liens solides avec la Croix-Rouge française.

Concrètement, j’ai pu tester Ergo-Up dans plusieurs établissements. Ces expérimentations m’ont permis de confirmer certaines intuitions, notamment sur les fonctionnalités liées à la gestion des coûts et des interventions humaines, ajustables en continu au regard des scores obtenus. Par exemple, une directrice d’établissement ? m’a demandé d’améliorer le système de cartographie des zones les plus contraignantes en temps réel, afin de mieux répartir les agents en fonction de la pénibilité et de la charge de travail. Ces retours de terrain ont été précieux : ils m’ont permis d’enrichir l’outil et de l’orienter encore davantage vers les besoins concrets des équipes et des gestionnaires.
 

Quelles évolutions envisagez-vous pour les prochains mois ou années ?

Je travaille aujourd’hui sur deux axes d’optimisation, ressortis des expérimentations menées avec l’Accélérateur 21.

Gestion des ressources humaines (RH). L’idée est d’anticiper les besoins en personnel en fonction des situations observées sur le terrain. Grâce au score généré par l’outil, il devient possible d’identifier les zones de travail les plus exigeantes, d’évaluer la charge de travail réelle et d’adapter l’organisation des équipes. Par exemple, selon le score d’incapacité de la personne accompagnée, l’outil peut indiquer si une intervention doit être réalisée en binôme ou si un professionnel peut agir seul. Cela permet non seulement d’optimiser les plannings, mais aussi de renforcer la sécurité des soignants et des personnes accompagnées.

Gestion et suivi des équipements. En recensant tous les matériels nécessaires aux besoins des personnes aidées et du matériel à disposition, il est possible d’optimiser le suivi et la répartition des équipements. L’objectif de l’outil est d’identifier précisément les besoins, d’éviter les doublons de matériel et de mieux équilibrer entre achat et location. Cette fonctionnalité novatrice permet au gestionnaire un suivi précis des investissements et de leur bonne utilisation.

Par le biais de cet outil, j'envisage également de valoriser la profession car nous sommes au carrefour de ces problématiques. Certains ergothérapeutes pourraient craindre que ce logiciel remplacer leur rôle ; c’est tout l’inverse. L’outil permet de mieux valoriser leur expertise auprès des familles, des équipes et des directions. C’est pour cette raison que je souhaite le diffuser au plus grand nombre et fédérer une communauté autour de cet usage.

Je travaille également sur le développement d’une version hors connexion, afin de rendre l’outil utilisable même dans des environnements où l’accès internet est limité, notamment pour les professionnels en SSIAD intervenant directement au domicile.

L’objectif prioritaire reste aujourd’hui de trouver des établissements partenaires prêts à adopter la solution, afin de la faire évoluer et de la déployer sur tout le territoire.
 

Vous êtes intéressés par cette solution ? 
Vous pouvez contacter directement Jérôme Viel via ce mail : ergo.up47@gmail.com