Ce colloque avait pour objectif de poser un état des lieux en termes de connaissance scientifique, d’organisation des politiques publiques et de pratiques des acteurs sur le parcours des enfants qui relèvent d’un accompagnement à la fois en protection de l’enfance et dans le secteur du handicap. Le lien entre le secteur du handicap et celui de la protection de l’enfance est aujourd’hui triplement questionné, sous l’angle des politiques publiques et des dispositifs organisationnels et institutionnels organisés en silo, à l’origine des ruptures de parcours. Les enfants à la croisée du handicap et de la protection de l’enfance sont ainsi accompagnés par des établissements et services sociaux et médico-sociaux, mais relèvent spécifiquement et exclusivement de l’un ou de l’autre champ.


Des enfants "invisibles" particulièrement vulnérables

Publié en 2015, le rapport du Défenseur des droits, intitulé Handicap et protection de l’enfance, des droits pour les enfants invisibles, a permis d’objectiver la situation de ces enfants. Ainsi, sur les 308 000 enfants qui font l’objet d’une mesure de l’aide sociale à l’enfance, 70 000 seraient porteurs de handicap. Ce sont des enfants invisibles, exposés à des vulnérabilités accrues.

Grand témoin du colloque, la défenseure des enfants a énuméré les chantiers ouverts depuis la publication de son rapport en 2015 : interrogation des pratiques professionnelles et organisationnelles des acteurs publics et associatifs des deux secteurs, publication de premières statistiques sur les parcours de vie des enfants concernés alors que la statistique publique était totalement aveugle jusqu’à présent sur cette question, mise en place de référents communs entre MDPH et ASE. La défenseure des droits prévoit en outre de publier, début 2019, une décision de suivi des préconisations formulées dans le rapport.


Une approche médicale et scientifique très éclairante pour les participants

La première table ronde du colloque avait pour objet de poser les éléments de connaissance scientifique sur le sujet. Frantesc Botet, professeur de pédiatrie à l’université de Barcelone, a présenté les travaux de recherche sur les lésions neurologiques constatées chez les enfants maltraités et leur impact sur le développement de l’enfant. Il a souligné que les réponses des parents aux besoins fondamentaux des enfants avaient une influence sur la maturation des systèmes cérébraux qui favorisent son développement psychologique et émotionnel.

La docteure Marie-Paule Martin-Blachais a également rendu compte de la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant en protection de l'enfance initiée en 2016/ 2017, qui a permis d'asseoir une représentation partagée de ceux-ci autour de sept besoins fondamentaux dont trois constituant le "méta-besoin de sécurité". Cette approche doit permettre que les situations de protection de l'enfance soient appréhendées sous l'angle de la réponse appropriée aux besoins de l’enfant au regard de son développement. L’intervenante a également souligné que les enfants confiés en protection de l'enfance présentaient majoritairement une clinique propre du fait des parcours délétères auxquels ils étaient exposés et justifiant des besoins spécifiques, mais également qu'une proportion non négligeable d'entre eux (25 à 30%) cumulaient une double vulnérabilité du fait de handicap associé, requérant des réponses de compensation en raison de besoins particuliers.


Favoriser le décloisonnement pour une meilleure prise en charge : avant tout une volonté politique

Dans la deuxième table ronde, les intervenants ont tenté de mettre en perspective les tentatives de décloisonnement des politiques publiques, à partir du constat d’un manque de coordination, d’un fonctionnement en silo et d’une tension entre secteurs social et médico-social liée au fait que certains enfants présentant un handicap soient pris en charge en protection de l’enfance « par défaut ».

La directrice de l’autonomie de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes a tout d’abord indiqué que le projet régional de santé adopté cette année abordait la thématique de la protection de l’enfance et du handicap à travers huit objectifs transversaux dont le repérage, le dépistage et l’accompagnement précoce du handicap en protection de l’enfance. Dans le cadre de la stratégie nationale pour l’autisme, des plates formes de coordination et d’orientation, fondées sur une approche en termes de détection des troubles du neurodéveloppement, doivent aussi se mettre en place. En Auvergne-Rhône-Alpes, cinq plates formes sont en phase de préfiguration et devraient démarrer prochainement.

De son côté, le département de la Savoie expérimente la mise en place d’un mode de tarification inspiré de SERAFIN PH pour un dispositif d’AEMO (assistance éducative en milieu ouvert) qui doit permettre la construction de réponses souples par la structure à partir d’objectifs identifiés sur l’entrée des besoins de l’enfant accompagné.

Dans son intervention, la vice-présidente du Conseil national de protection de l’enfance a ensuite souligné que le rapport du défenseur des droits avait permis de lever l’invisibilité des enfants et constituait finalement une découverte « de l’évidence ». Ce rapport, mais aussi la loi de mars 2016 relative à la protection de l’enfant et la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux constituent des avancées importantes en ce qu’ils redéfinissent les missions de la protection de l’enfance à partir des besoins et du développement de l’enfant, ce qui renouvelle totalement les fondamentaux de la protection de l’enfance. L’intervenante a également souligné l’enjeu que les projets régionaux de santé fassent place à cette problématique, comme c’est le cas en Auvergne Rhône Alpes, dans le cadre de politiques publiques articulées. La future stratégie nationale de protection de l’enfance, attendue pour début 2019, devrait également comporter un axe sur la sécurité des parcours des enfants accompagnés en protection de l’enfance et un axe sur la prévention du handicap.


Des initiatives exemplaires et des perspectives de collaboration nouvelles

L’après-midi du colloque était consacré à une présentation d’initiatives portées par les acteurs membres des trois réseaux coordinateurs tentant de promouvoir des logiques et des expérimentations communes entre les deux secteurs. Parmi les expériences présentées, la création en cours dans l’Allier d’un institut socio-éducatif médicalisé pour adolescents (ISEMA) qui va proposer un accompagnement pour des enfants accueillis en protection de l’enfance ayant besoin de soins et doit permettre de faire co-exister au sein d’une même équipe des professionnels socio-éducatifs et des soignants.

A l’issue de la journée, plusieurs questions ont été pointées comme pendantes telles que les modalités de fonctionnement, de régulation et de tarification des structures des deux secteurs, la question de la formation initiale et continue des professionnels, l’élaboration d’un référentiel national d’évaluation des situations en protection de l’enfance qui fasse consensus ou encore l’appropriation de l’approche scientifique relative au diagnostic des troubles du neurodéveloppement (TND).

En conclusion, la vice-présidente de Nexem a souligné l’importance pour Nexem de se saisir du levier de la formation des travailleurs sociaux, des outils de la GPEC et d’un travail sur la culture professionnelle dans les deux champs. Elle a également ébauché les perspectives de travail ouvertes par le colloque pour les trois co-organisateurs à travers la mise en œuvre prévue en 2019 d’un projet d’ateliers collaboratifs entre professionnels de la protection de l’enfance et du handicap en Auvergne-Rhône-Alpes et d’une étude de parcours.


Pour en savoir plus :

  • consultez un document sur les troubles du neurodéveloppement en cliquant ici ;
  • consultez un document sur les lésions neurologiques chez les enfants maltraités en cliquant ici ;
  • consultez la présentation faite par l'ARS lors de cette journée en cliquant ici.