Avec la publication au Journal Officiel du 23 avril 2024 de la loi n°2024-364 du 22 avril 2024 portant Diverses Dispositions d'Adaptation au Droit de l'Union Européenne (DDADUE), les employeurs vont pouvoir mettre à jour leurs pratiques et régulariser certaines situations, cette loi étant entrée en vigueur le 24 avril 2024[1]. Toutefois, entre technique juridique et mise en œuvre opérationnelle, la simplification n’est pas forcément au rendez-vous. L’articulation avec nos dispositions conventionnelles existantes en est une parfaite illustration.

Cette étude n’est pas exhaustive des cas rencontrés mais a vocation à vous proposer un 1er décryptage des nouvelles règles applicables pour l’avenir et pour certaines aussi de façon rétroactive. Certaines positions pourraient être amenées à évoluer notamment en fonction d’éventuelles interprétations que les pouvoirs publics pourraient donner à ces dispositions.

Rappel des dispositions conventionnelles de la CCN du 15 mars 1966 et des accords collectifs CHRS

Il est important de rappeler que les structures appliquant les dispositions conventionnelles de la CCN du 15 mars 1966 et des accords collectifs CHRS appliquaient des dispositions d’ores et déjà plus favorables que les dispositions du Code du travail s’agissant des arrêts maladie ordinaire – dès lors que la maladie ne permettait légalement aucune acquisition de congés payés.

A l’inverse, les dispositions conventionnelles des textes précités prévoyaient déjà une acquisition de congés payés :

  • Pendant 7 mois lorsqu’il s’agissait d’un arrêt maladie dans la CCN du 15 mars 1966 pour un non-cadre et 13 mois pour un cadre (au titre de l’article 22) ;
  • Pendant 3 mois pour un salarié cadre ou non cadre dans les accords collectifs CHRS (au titre de l’article 9.1).

Dès lors, comme développé ci-dessous, si une régularisation des droits doit être faite pour certains cas, il doit être tenu compte du fait que les dispositions conventionnelles auraient, même sans cette loi, permis l’acquisition de droits à congés payés. L’impact de cette nouvelle législation est donc moins fort que dans certains secteurs dépourvus de toute disposition conventionnelle en la matière.

Par ailleurs, cette loi a vocation à régulariser les situations non traitées à ce jour mais elle n’a pas vocation à revenir sur des droits à congés payés déjà consentis aux salariés.


Les nouvelles règles d’acquisition de congés payés durant les arrêts pour maladie ordinaire ou pour accident de travail ou maladie professionnelle (nouvel article L. 3141-5 du Code du travail)

Faisant suite à une décision du Conseil constitutionnel du 8 février 2024, en matière d’acquisition des droits à congés payés, le Gouvernement a pris le parti de continuer à distinguer arrêt maladie ordinaire et arrêt de travail d’origine professionnelle dans le cadre du Code du travail.

  • S’agissant des arrêts de travail d’origine professionnelle (AT/MP), il n’y aurait plus de limite dans le temps permettant l’acquisition de congés payés (jusqu’à maintenant, l’acquisition durait pendant un an au titre de l’ancien article L. 3141-5 du Code du travail). A noter que cette règle ne s’appliquerait que pour l’avenir contrairement aux autres dispositions ci-dessous ;
  • S’agissant des arrêts de travail pour maladie dit ordinaire, la loi prévoit désormais l’assimilation à du temps de travail effectif de l’absence maladie ordinaire mais seulement à hauteur de 2 jours par mois d’absence (contre 2,5 jours pour un salarié en situation de travail) avec un maximum de 24 jours par an (soit 4 semaines). En réalité, ces 4 semaines de congés (ou 24 jours ouvrables) correspondent au volume de congés payés garanti annuellement pour tout travailleur relevant de l’Union européenne (Directive Européenne 93/104/CE, article 7).

En résumé :



Une valorisation de l’indemnisation du congé payé modifiée

Aux termes de l’article L. 3141-24 du Code du travail, le congé annuel ouvre droit à une indemnité égale au 10ème de la rémunération brute totale perçue par le salarié au cours de la période de référence.

Pour la détermination de la rémunération brute totale, la loi prévoit qu’il doit être tenu compte notamment des périodes assimilées à un temps de travail par les articles L. 3141-4 et L. 3141-5 du Code du travail qui sont considérées comme ayant donné lieu à rémunération en fonction de l'horaire de travail de l'établissement.

Jusqu’à maintenant, en cas d’arrêt maladie ou d’arrêt de travail pour cause d’accident de travail, il fallait tenir compte du salaire de substitution qui correspondait à des périodes de repos ou d’inactivité assimilées par la loi ou la convention collective à du temps de travail effectif.

Par exemple, en matière d’arrêt de travail consécutif à un accident de travail, la reconstitution devait s’envisager pendant un an (au titre de la loi). En matière d’arrêt maladie ordinaire, la reconstitution devait s’envisager pendant 7 mois pour un salarié non-cadre qui relève de la CCN du 15 mars 1966.

Or, avec les nouvelles dispositions, il est nécessaire de prendre en compte les éléments suivants :

  • Pour l’arrêt de travail liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle, il n’y a plus de limite d’acquisition de congés payés ;
  • Pour l’arrêt maladie ordinaire, il est prévu une assimilation à du temps de travail effectif mais dans la limite de 4 semaines de congé.

C’est à ce titre que selon le nouvel article L. 3141-24 du Code du travail, les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’arrêt de travail lié à un accident ou une maladie n’ayant pas un caractère professionnel sont considérées comme ayant donné lieu à rémunération en fonction de l’horaire de travail de l’établissement, dans la limite d’une prise en compte à 80 % de la rémunération associée à ces périodes.

A noter. Un mois d’arrêt maladie ordinaire ouvrant droit à 2 jours ouvrables de CP, soit 80 % de 2,5 jours ouvrables (2,5 x 80 % = 2), il est donc appliqué le même rapport de 80 % pour le calcul de l’indemnité de congés payés.

Autrement dit, il est prévu de nouvelles modalités de calcul de l’indemnité de congés payés dans le cadre de la règle du 10ème.


La limitation du report des congés payés acquis non pris en raison d’un arrêt de travail (maladie ou AT/MP) combinée avec la création d’une nouvelle obligation d’information à la charge de l’employeur

  • Selon les nouveaux articles L. 3141-19-1 et suivants du Code du travail, à l’issue d’une période d’arrêt de travail pour cause de maladie ordinaire ou d’AT/MP, l’employeur doit porter à la connaissance du salarié dans le mois qui suit la reprise du travail, par tout moyen conférant date certaine à leur réception (notamment au moyen du bulletin de paie) les informations suivantes :
    • Le nombre de jours de congé payé dont il dispose ;
    • La date jusqu’à laquelle ces jours de congé payé peuvent être pris (en rappelant par exemple la période de prise des congés payés acquis).

  • En outre, lorsqu’un salarié est dans l’impossibilité, pour cause d’arrêt maladie ordinaire ou d’arrêt de travail lié à un AT/MP, de prendre tout ou partie des congés payés qu’il a acquis au cours de la période de prise de congés payés (1er mai de l’année N au 30 avril de l’année N+1), le législateur prévoit désormais que les droits acquis pendant ces périodes d’absences ne seront pas reportés indéfiniment. Le salarié aura une période de 15 mois pour prendre ces congés payés (délai de 15 mois qui débuterait à compter de l’information précitée de l’employeur).

  • Enfin, dans l’hypothèse où le contrat de travail est suspendu en raison d’un arrêt maladie ordinaire ou d’un arrêt de travail consécutif à un AT/MP, depuis au moins 1 an, le délai de 15 mois débutera à la date à laquelle s’achève la période de référence au titre de laquelle ces congés payés ont été acquis (sans attendre la reprise du travail par le salarié concerné). Dans cette hypothèse, cela permettra de faire débuter le délai de 15 mois de manière automatique sans intervention de l’employeur. Autrement dit, ce dernier n’aura pas l’obligation de procéder à l’information du salarié pour faire démarrer ce délai.

Par contre, en cas de reprise du travail avant la fin du délai de 15 mois, la période de report est suspendue jusqu’à la date de l’information donnée par l’employeur au salarié. La période de report reprendra ensuite pour la durée restant à courir.

Afin de vous aider au mieux à informer le salarié de ses droits, nous vous proposons un modèle en annexe de cette étude.

Remarques :

  1. Le délai de 15 mois ne trouve pas à s’appliquer lorsque le salarié n’est pas dans l’impossibilité de prendre ses congés payés au cours de la période de prise normale des congés (1er mai de l’année N au 30 avril de l’année N+1).
  2. Un accord d’entreprise ou d’établissement peut fixer une durée de la période de report supérieure à 15 mois (nouvel article L. 3141-21-1 du Code du travail).
  3. Le délai de 15 mois joue également pour les situations passées (article 37 II de la loi).

Exemple : Au 1er mai 2024, un salarié non-cadre est absent pour arrêt maladie depuis 3 ans. Selon les nouvelles dispositions légales, il a pu acquérir des droits à congés payés pour les périodes de référence suivantes :

  1. 1er juin 2021/31 mai 2022
  2. 1er juin 2022/31 mai 2023
  3. 1er juin 2023/31 mai 2024

a. Puisque le salarié n’a pas repris son activité depuis plus d’un an, le délai de 15 mois a commencé à courir pour les périodes de référence échues.

b. Depuis le 1er septembre 2023, le salarié ne peut plus prétendre aux droits à congés payés acquis sur la période de référence 1er juin 2021/31 mai 2022.

c. A compter du 1er septembre 2024, si le salarié n’a pas encore repris, il perdra également le bénéfice des droits à congés payés acquis sur la période 1er juin 2022/31 mai 2023.

d. Au titre de la période de référence en cours (1er juin 2023/31 mai 2024), les droits à congés acquis pourront être pris durant la période normale de prise de congés payés, à savoir du 1er mai 2024 au 30 avril 2025.

e. Si le salarié disposait de congés payés acquis de la période de référence juin 2020 à mai 2021, ces congés ne sont pas perdus (car, au 31 mai 2021, le contrat de travail du salarié n’était pas suspendu depuis au moins 1 an) : l’employeur doit informer le salarié des droits restants de cette période et du délai pour les prendre (15 mois selon la loi, à compter de la date à laquelle le salarié est informé des droits acquis au titre de ladite période de référence).

En résumé :


Un encadrement du droit à régularisation des salariés encore sous contrat

Les arrêts du 13 septembre 2023 ont entraîné des demandes des salariés qui pouvaient s’estimer lésés de la non prise en compte des règles édictées par les juges de la Cour de cassation par leur employeur (alors même que celui-ci ne faisait que se conformer au droit interne français).

Pour rétablir les salariés dans leurs droits tout en sécurisant a minima les employeurs, l’article 37 II de la loi prévoit que s’agissant des demandes de régularisation des salariés qui seraient encore sous contrat de travail avec l’association, ceux-ci pourraient demander l’application des nouvelles règles relatives à l’acquisition des droits à congés payés durant un arrêt maladie et au report des congés payés non pris, y compris de façon rétroactive[3] mais dans un délai de forclusion de 2 ans à compter de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, soit du 24 avril 2024 au 24 avril 2026.

A noter. Il s’agit d’un délai identique à celui prévu en matière d’actions portant sur l’exécution du contrat de travail (article L. 1471-1 du Code du travail).


Deux limites importantes sont posées par le texte en matière de régularisation :

  1. Les congés payés supplémentaires acquis en application des nouvelles dispositions ne pourraient, pour chaque période de référence, excéder le nombre de jours permettant au salarié de bénéficier de 24 jours ouvrables de congés payés, après prise en compte des jours déjà acquis, pour la même période. Autrement dit, même si le salarié peut prétendre à la prise en compte de certaines absences désormais assimilées par la loi, aucune régularisation ne sera à opérer s’il a déjà pu bénéficier de 24 jours de congés payés sur la période d’acquisition considérée.
  2. Les droits à congés payés acquis ne peuvent être reportés au-delà du délai de 15 mois évoqué ci-dessus.

Ensuite, il est important de rappeler, encore une fois, que la régularisation doit s’envisager sous la forme d’une prise d’un repos effectif. En effet, la loi ne prévoit toujours pas que l’employeur puisse régulariser la situation des salariés par le versement d’une indemnité compensatrice représentative des droits à congé dont le salarié aurait été privé.

Dans l’hypothèse où l’employeur doit régulariser certains droits à congés payés et organiser leur prise, nous lui conseillons d’accompagner cette régularisation par la rédaction d’une note de service ou bien d’un courrier à destination des salariés concernés afin qu’il soit conservé une trace écrite de celle-ci. L’idée étant de conserver une preuve de la mise en conformité par l’employeur et éviter toute nouvelle demande ultérieure sur le sujet.

Enfin, il y a lieu de constater que la loi ne prévoit pas d’application rétroactive de la suppression de la limite d’un an pour l’acquisition des droits à congés payés pendant un arrêt de travail consécutif à un AT/MP.


Une limitation dans le temps du droit des salariés ayant quitté l’association

Selon l’avis rendu par le Conseil d'État le 11 mars 2024, pour les salariés qui auraient quitté l’entreprise auprès de laquelle des droits à congés payés pourraient être réclamés pour le passé, ce sont les règles de prescription de droit commun qui s’appliqueraient, à savoir la prescription des salaires de 3 ans (article L. 3245-1 du Code du travail) qui joue pour les actions en paiement d’indemnités compensatrices de congés payés.

Par conséquent, en application de cet avis, les salariés dont le contrat de travail a été rompu depuis plus de 3 ans à la date d’entrée en vigueur de la loi ne pourraient pas agir en justice pour obtenir le paiement d’indemnités compensatrices de congés payés. 

Autrement dit, puisque la loi est entrée en vigueur le 24 avril 2024, un salarié ayant quitté les effectifs avant le 24 avril 2021, ne pourrait plus prétendre à une régularisation de sa situation auprès de son ancien employeur
 

En résumé :


Conclusion

Si l’on peut apprécier l’intervention du législateur pour atténuer la portée des arrêts du 13 septembre 2023, les règles proposées pour se mettre en conformité avec le droit européen ne sont pas synonymes de simplification, notamment pour les situations passées. Nous restons à votre disposition pour traiter des cas particuliers non traités dans cette étude.

Par ailleurs, nous invitons les structures à faire un état des lieux de leurs pratiques actuelles (du fait de notes de service ou d’usages par exemple) et de se mettre en conformité avec les nouvelles dispositions légales si nécessaire.

A titre indicatif, nous reviendrons sur le sujet lors de notre prochain 52 minutes du 11 juin prochain.

Téléchargez la trame d’information des droits à congés payés du salarié en situ…

    [1] Soit le lendemain de sa publication au Journal Officiel.

    [2] Du 1er décembre 2009 à la date d’entrée en vigueur de la loi, à savoir le 24 avril 2024.

    [3] Depuis le 1er décembre 2009, date d’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, qui a donné une force juridique contraignante à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en vertu de laquelle la Cour de cassation a écarté les règles françaises contraires le 13 septembre dernier.